Comment la Bourse de Casablanca a brisé le cycle de la défiance. Conversation avec Tarik Senhaji

"Nous sommes en train de consolider un nouveau pacte de cette Bourse". Ces mots sont ceux du directeur général de la Bourse de Casablanca. Ce mercredi 22 janvier, Tarik Senhaji reçoit l’équipe de Médias24 au siège de la Bourse dans un échange à bâtons rompus sur l’institution, le marché des capitaux, l’avenir… Et contrairement à ce que l’on peut penser, l’échange est tout sauf technique.
Plus d’une heure durant, hormis l'échange avec Tarik Senhaji et ses équipes sur les raisons derrière l'année exceptionnelle qu'a été 2024 et les perspectives 2025, la discussion a surtout porté sur l'évolution de l'image de la Bourse et son positionnement.
"Le futur de la Bourse de Casablanca repose sur une stratégie d'ouverture et d'innovation" nous explique-t-il. L'objectif est de repositionner la Bourse dans son rôle premier : accompagner le développement du tissu économique.
Quelques jours plus tard, le vendredi 30 janvier, nous retrouvons Tarik Senhaji en VRP de la Bourse auprès des entreprises du secteur de l’agro-industrie.
"Nous avons réalisé que la Bourse de Casablanca était importante par son impact sur son écosystème", avance-t-il. Ce jour-là, tout a été mis en place pour inciter les entreprises de ce secteur à envisager la Bourse comme un moyen de financement.
"Notre volonté est de nous mettre en retrait. Ce qui est important, c'est d'accompagner ce secteur essentiel qui contribue tant à l'économie du Maroc", déclare le directeur général de la Bourse devant l'assistance nombreuse. La promesse faite ce jour-là est de multiplier l'accompagnement avec les entreprises qui le souhaitent pour qu'elles aient une meilleure information sur ce que la Bourse veut dire.
Un discours qui tranche avec les messages traditionnels de cette institution centenaire. Qu’est-ce qui a changé à la Bourse de Casablanca qui, de l’avis de tous les observateurs, a clairement (re) gagné en crédibilité.
C'est ce que nous retracerons dans l'échange qui suit avec les équipes de la place casablancaise.
L’âge qui n’est pas d’or !
Entre 2003 et 2008, la Bourse de Casablanca vivait une période faste, marquée par des volumes record et un engouement sans précédent des investisseurs. Mais cette euphorie, souvent qualifiée d’"âge d’or", a aussi révélé des fragilités.
L'année 2008 a été une "annus horribilis" pour la Bourse de Casablanca, marquée non seulement par la crise financière mondiale, mais aussi par de multiples scandales tels que des fuites de carnets d'ordres, des délits d'initiés ou des falsifications de comptes. Ces affaires ont entraîné une crise de confiance dans le marché.
"Il faut généralement une véritable crise pour entreprendre de véritables réformes", commente Tarik Senhaji.
La Bourse de Casablanca n'a pas été épargnée mais, depuis, un important travail a été entrepris pour reconstituer la crédibilité du marché boursier.
"La création de l'Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) en 2016 a marqué un tournant qui a permis de combler les lacunes de cet 'âge d'or'. Elle a instauré une rigueur et une exigence qui manquaient auparavant", ajoute-t-il.
Selon Tarik Senhaji, l'AMMC a effectué un travail structurant, dont le résultat est très satisfaisant pour l'ensemble du marché.
L'objectif n'est plus de multiplier les IPO à tout prix, mais de privilégier la qualité et la pérennité des opérations. Là encore, la vision tranche avec les stratégies passées, qui visaient principalement à réaliser un certain nombre d'IPO par an.
La politique de l’influence
Malgré les réformes structurelles menées depuis 2008, la Bourse n'a retrouvé sa place centrale qu'en 2024. Quel a été le déclencheur ? "Une autre crise", répond le directeur général.
C'est en effet en pleine crise sanitaire que Tarik Senhaji avait repris les rênes de l'institution, alors que l'économie mondiale était à l'arrêt. "Un moment propice à la remise en question", estime-t-il.
La question était alors de briser le cercle vicieux dans lequel s'était enfermée la Bourse, pour créer un nouveau cercle vertueux. Comment rendre la Bourse attractive et gommer une image encore "radioactive"?
La première question que se sont posées les équipes de la Bourse ainsi que le nouveau management : la Bourse est-elle utile pour les entreprises marocaines ?
"Quand nous avons interrogé les spécialistes, certains ont répondu que la Bourse était extrêmement utile, tandis que d'autres ont affirmé qu'elle ne servait à rien. Nous avons alors eu l'idée de nous tourner directement vers les sociétés cotées pour leur poser la question", se rappelle le directeur général.
Des visites ont ainsi été organisées avec certaines entreprises cotées. Les remontées ont conforté le top management dans son approche. "Une entreprise familiale a assuré que si elle n'avait pas été cotée, elle n'aurait pas survécu au décès des fondateurs", nous confie-t-il.
"Un autre dirigeant explique que son entreprise remportait les meilleurs scores techniques lors d'appels d'offres internationaux, mais que les clients craignaient pour sa pérennité. Ce problème a été résolu grâce à la cotation en bourse".
"La conclusion des échanges est qu'il faut recommander la Bourse, que ce soit pour lever des fonds, augmenter le capital ou réaliser une sortie pour un investisseur", poursuit notre interlocuteur. "Nous avons donc tenu plusieurs réunions pour tout remettre à plat. Nous en sommes arrivés à la conclusion que notre rôle est avant tout d'exercer une influence, car ce n'est pas nous qui agissons directement, mais nous faisons agir les autres", explique Tarik Senhaji.
C'est ainsi que les équipes de la Bourse se sont lancées dans une démarche d'influence. "Quand nous avons commencé en 2020, ce n'était pas facile. Il fallait intéresser et convaincre. Nous avons travaillé avec ceux qui avaient bien voulu nous suivre", confie-t-il.
Pour chaque partie prenante identifiée – prescripteurs, capital-investissement, chefs d'entreprises, État, banques, banques d'affaires, sociétés de bourse –, Tarik Senhaji et son équipe se sont posés trois questions clés : que veut la Bourse de Casablanca d'eux ? Que veulent-ils de la Bourse de Casablanca ? Quel est l'état de leur relation ?
Cette stratégie d'influence et ce travail de terrain auprès des différents acteurs visaient à les "inciter à reconsidérer la Bourse de Casablanca". L'objectif était d'enclencher un cercle vertueux. Ce qui fut fait.
Deux points constituent le socle de travail pour l'équipe actuelle. Primo : "Nous ne sommes pas là pour commercialiser la Bourse, mais pour l'expliquer", précise Tarik Senhaji. Une des étapes futures sera d'aller à la rencontre des universités, car "les universités sont des vecteurs intéressants de connaissance".
Secundo: "Une Bourse n'a de sens que si elle est reliée à son économie. Nous allons donc dans les régions et essayons également de communiquer avec les prescripteurs", ajoute-t-il.
Cette stratégie a porté ses fruits puisque la Bourse a changé d'image et de position. Un retour de confiance qui a été porté par un environnement économique plus favorable.
Le retour des investisseurs et de l’engouement
Aujourd’hui, avec des performances solides en 2024 et 2025, la Bourse de Casablanca semble avoir emprunté une voie plus durable. Ses succès récents illustrent cette dynamique retrouvée. Sept opérations réalisées au cours de l’année pour une levée de 7,3 MMDH. Le MASI, l’indice phare, a franchi les 15.000 points en 2024, un record historique. Les volumes d’échanges, quant à eux, ont atteint près de 90 MMDH.
Mais au-delà des chiffres, c’est l’engouement qui impressionne. “Le retour des investisseurs individuels est une véritable victoire. Ils représentent aujourd’hui 22% des volumes, avec près d’un million d’ordres passés. Cela montre que la confiance revient”, explique Tarik Senhaji.
Cette renaissance a été facilitée par les avancées technologiques. "Les plateformes de Bourse en ligne jouent un rôle important, représentant à elles seules 67% des ordres". "Ces outils modernes permettent à davantage de personnes de participer, même avec des ordres modestes. C'est une évolution majeure vers une Bourse plus inclusive", note-t-il.
"La Bourse n'est pas simplement un lieu où l'on achète et vend des actions. Elle est un véritable moteur pour l'économie marocaine", soutient Tarik Senhaji. Contrairement aux dépôts bancaires, les investissements boursiers permettent de financer directement les entreprises en capital. Cela implique des risques, mais les opportunités de rendement sont bien plus importantes. "Lorsque vous investissez en bourse, vous contribuez à créer de la valeur, non seulement pour vous, mais pour tout le tissu économique", explique-t-il.
"La Bourse n'est pas simplement un lieu où l'on achète et vend des actions. Elle est un véritable moteur pour l'économie marocaine", insiste Tarik Senhaji. Contrairement aux dépôts bancaires, les investissements boursiers permettent de financer directement les entreprises en capital. Cela implique des risques, mais les opportunités de rendement sont bien plus importantes. "Lorsque vous investissez en bourse, vous contribuez à créer de la valeur, non seulement pour vous, mais pour tout le tissu économique".
Ce regain d'intérêt pour le marché s'inscrit dans un contexte favorable. La baisse des taux d'intérêt et une maîtrise de l'inflation ont rendu les actions plus attractives, renforçant ainsi la confiance des investisseurs.
"Le Maroc vit une transformation économique majeure, portée par des initiatives structurantes comme l'industrialisation, les annonces de gigafactories ou encore les projets liés à l'organisation de grands événements tels que la Coupe du monde. Ces chantiers projettent une image de dynamisme et renforcent la confiance des investisseurs. La Bourse, en tant que miroir de cette évolution, reflète ces avancées tout en jouant un rôle actif dans le financement des entreprises impliquées", ajoute-t-il.
"La masse bénéficiaire des entreprises cotées en bourse a connu une hausse remarquable de 19% au premier semestre 2024, ce qui montre une solidité retrouvée et une résilience accrue de ces entreprises", ajoute Tarik Senhaji.
"Un élément intéressant récemment, c'est ce qu'on appelle le 'nouveau cash', issu notamment de l'intégration de l'argent informel dans le circuit officiel grâce à des opérations comme celle de l'amnistie fiscale. Ce capital, qui se transforme en grande partie en épargne, a besoin de trouver sa place. Et c'est là que la Bourse se distingue : elle offre une alternative attrayante pour canaliser cette épargne vers des investissements productifs, tout en proposant des opportunités intéressantes pour les épargnants."
"Nous voulons que la Bourse devienne accessible à tous. Cela passe par des initiatives qui visent à éduquer les investisseurs, mais aussi par le développement de produits adaptés aux besoins des différents acteurs", nous explique-t-on.
Une transformation en holding
"La transformation en holding est avant tout un gage de crédibilité pour la Bourse", poursuit Tarik Senhaji. "C'est un modèle qui remonte à 2016, adopté à l'échelle européenne, et qui s'est avéré pertinent. C'est une étape importante pour nous, car nous sommes une entreprise qui met un point d'honneur à la gouvernance".
Pour Tarik Senhaji, "tous les grands acteurs boursiers fonctionnent ainsi. Ce changement signifie surtout que nous serons mieux organisés".
La création de la Chambre de compensation (CCP) est un tournant majeur, car elle agit comme un bouclier contre le risque de contrepartie, un problème qui a contribué à des crises financières dans le passé. "Avec cette Chambre de compensation, nous avons les moyens de sécuriser les transactions complexes, notamment les opérations synthétiques, et d'éliminer les expositions de crédit non maîtrisées", poursuit-il.
"Les futures sur indice, comme celui basé sur le MASI 20, sont conçus pour rendre le marché plus accessible. Aujourd'hui, acheter l'ensemble des titres d'un indice peut être complexe et coûteux. Avec ces futures, un investisseur pourra acheter ou vendre l'indice en une seule opération, ce qui est un avantage significatif, surtout pour ceux qui souhaitent couvrir leurs positions ou diversifier leur portefeuille rapidement".
Les ETF et les contrats à terme occupent une place importante. Ces outils financiers modernes permettent aux investisseurs de diversifier leurs portefeuilles et de mieux gérer leurs risques. "Ces nouveaux produits ne dynamiseront pas seulement le marché des dérivés. Ils auront également un effet bénéfique sur le marché central en augmentant la liquidité et en stabilisant les prix. Par exemple, un investisseur qui juge un indice surévalué n'aura plus besoin de se retirer totalement du marché. Il pourra agir sur les futures pour ajuster ses positions, ce qui contribue à une meilleure efficacité et à une stabilité globale", expliquent nos sources.
Si certains craignent que les nouveaux produits détournent la liquidité du marché central... Tarik Senhaji estime, au contraire, que "les deux marchés vont fonctionner en complémentarité. Les investisseurs institutionnels continueront de privilégier le marché central pour des raisons stratégiques, tandis que les dérivés attireront de nouveaux profils d'investisseurs, ce qui élargit ainsi l'écosystème. Cette dynamique contribuera à renforcer l'ensemble du marché".
"Tout ce que nous mettons en place aujourd’hui, qu’il s’agisse des filiales, des produits ou de la gouvernance, s’inscrit dans une vision à long terme. Nous ne construisons pas seulement pour les besoins d’aujourd’hui, mais pour préparer la Bourse à jouer un rôle central dans l’économie marocaine pendant les vingt prochaines années", conclut Tarik Senhaji.
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