La gouvernance sportive au Maroc, un obstacle plutôt qu'un catalyseur de performance ? (Étude)

Au Maroc, le sport de haut niveau est souvent évalué à travers les succès individuels et les succès sur la scène internationale. Pourtant, une étude récente éclaire d'un jour nouveau la relation étroite entre la gouvernance systémique du sport et les résultats obtenus. Le ministère des Sports (MS), le Comité national olympique marocain (CNOM) et les Fédérations royales sportives marocaines (FRSM) sont au centre d'un réseau complexe où les mécanismes de gouvernance, loin de propulser la performance, semblent en réalité constituer un frein, selon les auteurs de l'étude. Analyse.

La gouvernance sportive au Maroc, un obstacle plutôt qu'un catalyseur de performance ? (Étude)

Le 11 août 2024 à 12h30

Modifié 11 août 2024 à 14h09

Au Maroc, le sport de haut niveau est souvent évalué à travers les succès individuels et les succès sur la scène internationale. Pourtant, une étude récente éclaire d'un jour nouveau la relation étroite entre la gouvernance systémique du sport et les résultats obtenus. Le ministère des Sports (MS), le Comité national olympique marocain (CNOM) et les Fédérations royales sportives marocaines (FRSM) sont au centre d'un réseau complexe où les mécanismes de gouvernance, loin de propulser la performance, semblent en réalité constituer un frein, selon les auteurs de l'étude. Analyse.

La performance sportive est-elle le fruit d'un don, donc de l’inné? Ou de la gouvernance du sport, de la formation, de l’innovation… ? Qu’en est-il dans le cas des Jeux olympiques?

Pendant des décennies, le Maroc a brillé sur les scènes internationales en athlétisme, football, boxe et tennis. Cependant, depuis 2004, une érosion lente mais constante des performances nationales s’est installée, laissant place à une situation préoccupante. Le Maroc, présent aux Jeux olympiques depuis sa première participation en 1960, n’a cumulé que 26 médailles : 8 d’or, 5 d’argent et 13 de bronze, sur 17 éditions, soit une moyenne inférieure à deux médailles par édition. Selon la morasse budgétaire 2024, le budget de fonctionnement alloué au programme du sport de haut niveau s'élève à 23,9 MDH, tandis que le budget d’investissement est de 2,1 MMDH.

Dans le même sens, un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) publié en 2020 indique que la part du financement externe du sport de haut niveau (sponsoring, publicité, dons, etc.) dans le budget annuel des fédérations sportives était de 20% en 2018 et 2019, de 30% en 2020, et devrait atteindre 45% en 2022, selon les prévisions. Si l'on suppose que cette part est restée stable à 45% de 2022 à 2024, le financement total du sport de haut niveau en 2024 devrait avoisiner 3,8 MMDH. Un montant qui, paradoxalement, n'est pas reflété par l’état actuel du sport marocain, en particulier aux Jeux olympiques.

Cette dégradation, bien que multifactorielle, semble directement imputable à des failles profondes dans la gestion des fédérations sportives, appelant à une refonte du modèle de gouvernance actuel.

Des dysfonctionnements structurels, étroitement liés à des carences en gouvernance, continuent de handicaper le développement du sport national. Les deux piliers principaux, le ministère des Sports et le Comité national olympique marocain (CNOM), s’emploient à créer une "valeur sportive" par le biais de subventions. Cependant, la création de cette valeur par la formation et l'innovation est souvent reléguée au second plan, réduisant ainsi l’impact des interventions. La gouvernance, souvent désignée comme le bouc émissaire des contre-performances, devrait pourtant être perçue comme le levier fondamental pour identifier et corriger les causes profondes de l’échec sportif.

La gouvernance du sport de haut niveau au Maroc s’articule autour de contrats d’objectifs qui, en théorie, devraient définir les engagements des fédérations sportives vis-à-vis du ministère. Pourtant, ces contrats, souvent perçus comme de simples formalités administratives pour accéder aux subventions, manquent cruellement de substance en termes de suivi et d’évaluation. Ils laissent de côté des éléments cruciaux tels que la formation continue et l’innovation, pourtant essentiels pour un succès durable.

Ainsi, l’absence de suivi rigoureux a des répercussions directes sur les performances sportives. Lorsqu’il n’y a aucune incitation à atteindre ou dépasser des objectifs concrets, la motivation pour innover ou améliorer la gestion des talents s’étiole. Ce cadre de gouvernance, où la discipline administrative prime sur une gestion orientée vers les résultats, crée un terreau propice à la stagnation.

Cependant, l’efficacité des fédérations sportives est désormais mesurée par le nombre de médailles, tandis que leur efficience est évaluée par le ratio médailles/dépenses.

Dans ce contexte, une étude menée par Sanaa Boukhari et Mohamed Ouaddaadaaa de l’Université Mohammed V de Rabat, publiée en novembre 2022 dans la revue internationale des sciences de gestion, vient confirmer ce constat. Elle révèle que le déclin du sport de haut niveau au Maroc est intrinsèquement lié à la nature des interactions entre les principaux acteurs institutionnels : le ministère des Sports, le Comité national olympique marocain et les Fédérations royales sportives marocaines.

En analysant de près les dynamiques relationnelles entre ces entités, l'étude met en lumière plusieurs mécanismes de gouvernance qui non seulement influencent mais, dans certains cas, freinent directement la performance sportive du pays. Seul le football a pris une trajectoire différente et autonome en élaborant sa propre stratégie, comme révélé par Médias24.

Voici les principaux constats de l'étude :

  • Les acteurs relais : une gouvernance de réseaux informels.

Un aspect clé de cette gouvernance est le rôle des "acteurs relais", ces intermédiaires qui facilitent les interactions entre le MS et les FRSM. Ces fonctionnaires ou cadres intermédiaires, grâce à leurs relations personnelles et à leur connaissance du système, jouent un rôle central dans l’octroi des subventions. Leur influence dépasse parfois les structures officielles, créant un système parallèle où les décisions reposent davantage sur des liens informels que sur des critères de performance clairement définis. "Certains responsables du MS peuvent être considérés comme des « relais », avec qui les fédérations nouent des relations pour en tirer des informations nécessaires à l’obtention de leurs subventions ou la négociation d’une majoration de celles-ci".

Cette personnalisation des relations au sein des institutions sportives pose un sérieux problème de transparence. Les décisions basées sur ces relations manquent souvent d’objectivité, favorisant certaines fédérations indépendamment de leurs résultats. Cela conduit à une distribution inégale des ressources, se traduisant par une fragmentation des performances sportives au niveau national.

Dans une autre étude, Abderrazak El Akari et Mohamed Ouaddaadaa constatent une grande concentration des subventions.

Dans cette étude intitulée "la gouvernance financière du sport au Maroc : Cas des subventions publiques octroyées aux Fédérations sportives nationales", les deux auteurs mettent en évidence une répartition disproportionnée des subventions : "cinq fédérations (football, athlétisme, golf, sports équestres, judo) ont perçu 60% du montant global des subventions en 2017, 74% en 2018, et environ 80% en 2019. Alors que 20% des fédérations n’ont pas perçu de subvention en 2017 et en 2019, pendant que la moitié des fédérations ont perçu moins de 2MDH en 2017 et en 2018".

  • Le CNOM et les FRSM : une coopération limitée à la dimension financière

Le rôle du Comité national olympique marocain (CNOM) dans la gouvernance du sport de haut niveau au Maroc est également remis en question. Les relations entre le CNOM et les FRSM se limitent souvent à des échanges financiers, notamment pour l’attribution de bourses aux athlètes participant à des compétitions internationales. Cependant, cette approche, focalisée sur le soutien financier, manque cruellement de vision stratégique à long terme.

L’absence de soutien continu et d'accompagnement stratégique entrave la progression des athlètes et des fédérations. Le CNOM, qui devrait être un catalyseur de la performance sportive en soutenant le développement des compétences et la planification à long terme, se cantonne trop souvent à un rôle de simple financeur. Cette lacune empêche la création de synergies efficaces entre les institutions, indispensables pour élever le sport marocain à un niveau compétitif sur la scène internationale.

"Les relations CNOM/FRSM sont caractérisées par l’absence d’un réel accompagnement de la part aussi bien du MS que du CNOM dans le processus de production d’une meilleure « valeur sportive". Cette dernière n’est pas appréhendée comme le résultat d’une synergie de contribution de ces acteurs. Elle est plutôt conçue comme une conséquence exclusive de l’apport d’un capital financier."

Quelles conséquences sur la performance sportive ?

Les répercussions de cette gouvernance défaillante sont palpables : les résultats sportifs stagnent, voire régressent, sur la scène internationale. Les athlètes marocains, qui devraient bénéficier d’un soutien institutionnel fort pour maximiser leur potentiel, se retrouvent souvent démunis, faute de ressources, de suivi et d'encadrement. Cette situation dépasse le cadre des performances individuelles, ternissant également l'image du Maroc dans les compétitions mondiales.

De surcroît, la dépendance excessive aux relations personnelles pour l'octroi de subventions et le soutien aux fédérations crée un système où l'efficacité et l'équité sont compromises. Les fédérations les mieux connectées sont favorisées, au détriment d'autres, ce qui diminue les chances de voir émerger des talents issus de fédérations moins privilégiées, affaiblissant ainsi le potentiel global du sport marocain.

Pour une réforme de la gouvernance sportive

Les conclusions de l’étude sont claires : une réforme de la gouvernance du sport de haut niveau au Maroc est impérative. Pour améliorer les performances, il est essentiel de renforcer les mécanismes d’évaluation des résultats, tant au niveau des fédérations que des acteurs institutionnels. Les subventions devraient être conditionnées à l’atteinte d’objectifs mesurables, avec un suivi régulier permettant d’ajuster les stratégies en fonction des performances réelles.

Il est également crucial de promouvoir une culture de la transparence et de la reddition de comptes au sein des institutions sportives. Les décisions doivent être basées sur des critères objectifs de succès, non sur des relations personnelles ou des réseaux informels. Cela nécessite la mise en place de mécanismes de gouvernance inclusifs, où les fédérations et les athlètes sont activement impliqués dans les processus décisionnels.

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Pour cultiver le talent et obtenir un rendement sportif optimal, le financement, bien que nécessaire, reste insuffisant. Il ne suffit pas de distribuer des primes et d'allouer des fonds pour créer un champion. La véritable clé réside dans l’investissement massif dans les infrastructures sportives et dans leur mise à disposition pour les jeunes talents.

L'accès facilité à ces infrastructures dès le plus jeune âge est essentiel, car la plupart des champions se révèlent dans la jeunesse et l'enfance, lorsque le potentiel est le plus malléable. C'est un suivi rigoureux, un engagement continu et des infrastructures de qualité qui forment la colonne vertébrale d'une carrière sportive réussie. Sans cet environnement propice, le talent reste à l'état latent, et les médailles se font rares.

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