Adil Rais : “Nous devons gagner en indépendance industrielle”

Dans le cadre du Médias24 Tour, Médias24 a accueilli sur son plateau Adil Rais, Président de la CGEM Tanger-Tétouan-Al Hoceima et Co-président du Conseil économique Maroc-Espagne. Entretien.

Adil Rais : “Nous devons gagner en indépendance industrielle”

Le 16 juillet 2024 à 12h45

Modifié 16 juillet 2024 à 12h47

Dans le cadre du Médias24 Tour, Médias24 a accueilli sur son plateau Adil Rais, Président de la CGEM Tanger-Tétouan-Al Hoceima et Co-président du Conseil économique Maroc-Espagne. Entretien.

Deuxième locomotive économique du Maroc, la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima présente un fort potentiel d’investissement et jouit d’une attractivité importante, de par son histoire, son positionnement et ses ressources qui en font aujourd’hui un hub logistique international.

Dans cette interview réalisée dans le cadre de cette deuxième étape du M24 Tour, Adil Rais, Président de la CGEM Tanger-Tétouan-Al Hoceima et Co-président du Conseil économique Maroc-Espagne répond aux questions de Médias24 sur le devenir de la région, sur ses atouts et ses axes d’amélioration notamment pour le développement et le renforcement d’une industrie locale, et les incitations à destination des investisseurs nationaux.

Nous parlons souvent de Tanger maintenant, mais nous oublions qu’elle a initié sa démarche industrielle dans la fin des années 70

Médias24. Tout d’abord, pouvez-vous confirmer le boom des investissements cette année ?

- Effectivement nous remarquons une croissance importante des investissements qui ont été approuvés au niveau de la région, 7 milliards d’euros pour l’année passée, il me semble, et une tendance de plus de 3 milliards cette année.  Cette région attire de plus en plus l’intérêt des investisseurs. C’est un fait qui s’explique par plusieurs raisons que nous pourrons aborder par la suite.

- Justement, en tant qu’entrepreneur, à quoi attribuez-vous l’attractivité de la région ?

- D’abord, à son Histoire. Tanger était une ville internationale connue dans le monde entier. Dans les années 40-50, c’était une ville financière où des financiers du monde entier venaient notamment, y investir. Ensuite, depuis les années 70, elle a créé une dynamique industrielle. Nous parlons souvent de Tanger maintenant, mais nous oublions qu’elle a initié sa démarche industrielle dans la fin des années 70 après la mise en place d’un certain nombre de « zoning » pour déconcentrer  l’industrie qui était relativement installée à Casablanca.

Cela a vu l’implantation de plusieurs unités industrielles importantes telles que les Fromageries Bel qui est l’une des usines les plus importantes du groupe dans le monde,  Jacob Delafon…  Pour ma part, nous avons commencé les investissements dans les années 80 et cette zone industrielle était déjà active à cette période.

Ce qui est venu après a été facilité par l’existence de cette structure industrielle à Tanger qui a démarré dans les années 80. Tanger a toujours été très portée sur l’international de par son passé et ses activités qui se sont implantées. Déjà, énormément d’entreprises de textiles allemandes s’y étaient installées. C’était l’une des premières zones d’activité textile de sociétés allemandes dans le monde.

Malheureusement ces sociétés ont déménagé en raison, notamment, de problèmes syndicaux de l’époque. Le textile avait donc joué un rôle important et a gardé cette initiative qui a porté le secteur jusqu’à maintenant comme un secteur très axé sur l’international.

nous sommes satisfaits des pas réalisés mais nous devons faire plus parce que le Maroc mérite plus, et parce que nous n’avons pas encore atteint le niveau de développement que le pays mérite

- Êtes-vous d’accord avec ce satisfecit général ?

- Oui, mais. Nous sommes contents de cette dynamique, lorsque je vais en Espagne par exemple, notamment pour participer à des Forum comme la semaine passée à Valence ou à Barcelone, je réalise l’attrait de la région, du Maroc en général et cela réconforte notre démarche qui est initialement portée sur la promotion de l’investissement et du Maroc. Mais il ne faut pas se dire qu’on est très satisfaits.

Oui, nous sommes satisfaits des pas réalisés mais nous devons faire plus parce que le Maroc mérite plus, et parce que nous n’avons pas encore atteint le niveau de développement que le pays mérite et que Sa Majesté demande de façon active depuis des années.

Je vais donner un exemple, lorsqu’un coureur de 100m fait 11 secondes. Il passe à 10,5 secondes, il faut dire que c’est très bien mais Il faut avoir un temps inférieur à 10 secondes pour être parmi les plus notables et rapides du monde. Le Maroc doit aller plus loin, nous sommes contents de l’état d’avancement des choses, mais nous avons une capacité de progression beaucoup plus importante que ce que nous avons fait jusqu’à présent. Voilà un peu mon avis, c’est très bien mais nous pouvons faire mieux.

- Il vous est arrivé de parler des inégalités sociales et territoriales…

- Oui je crois que c’est l’un des problèmes majeurs de notre pays. Globalement, entre le rural et l’urbain, entre l’urbain et le peri-urbain, le Maroc doit aller vers un peu plus d’équilibre territorial.

Nous voyons ce qu’il y a dans la région, Tanger suit une progression très importante au niveau des investissements industriels, elle a une croissance très rapide de chiffre d’affaires à l’export, puis Larache, Chefchaouen, Al Hoceima, Tétouan même, et des zones peri-urbaines de Tanger pour le côté social.

Mais au niveau économique nous avons tous l’obligation de penser plus global, plus partagé, plus équilibré. C’est grâce à cela que le Maroc pourra être non pas un pays en croissance, mais un pays développé. Le développement c’est une notion qualitative qui implique un équilibre.

Certains diront que beaucoup de pays ont ce déséquilibre, mais nous devons lutter pour faire du Maroc un pays à développement équilibré entre le rural, l’urbain, l’urbain et le péri-urbain.

Se dire que l’investissement national va être à la hauteur de l’investissement international est relativement irréaliste, mais que l’investissement national peut être beaucoup plus important c’est un fait.

- Une question un peu plus embarrassante, à vous qui représentez les entrepreneurs, pourquoi les Marocains ne sont-ils pas assez nombreux à Tanger ?

- C’est une très bonne question. Si nous observons l’ensemble des investissements industriels qui sont aujourd’hui approuvés, il y a peu de projets maroco-marocains, cela est clair et c’est à travers une observation critique que l’on peut avancer.

D’une part, il y a une responsabilité de l’entrepreneuriat marocain qui se dirige vers le plus facile, l’immobilier ou l’investissement beaucoup plus rentable. Ensuite, je pense que les responsables politiques doivent comprendre que nous avons réussi à attirer l’investissement international à travers ces facilitations comme la création de ces zones d’accélération industrielle. Alors j’ai toujours demandé pourquoi nous limitons ces avantages aux seuls acteurs étrangers.

Pourquoi l’investisseur marocain ne peut pas s’implanter sur ces zones d’accélération industrielle sans autorisation, pourquoi nous ne facilitons pas toutes les démarches administratives au niveau de la gestion douanière, de l’office des changes pour les Marocains qui exportent et qui sont à l’extérieur des zones d’accélération industrielle ? Se dire que l’investissement national va être à la hauteur de l’investissement international est relativement irréaliste, mais que l’investissement national peut être beaucoup plus important c’est un fait.

Je trouve en tant qu’investisseur national que nous ne sommes pas mis sur un pied d’égalité avec l’investissement international et que cela doit être fait. Nous devons gagner en indépendance industrielle, les leçons doivent être tirées de la période Covid pour que cette industrie nationale soit forte et qu’on dépende moins des importations. Il y a à faire… Et je crois qu’il faudrait un peu élargir la très bonne expérience que nous avons pour attirer l’investissement international et que l’investissement national soit logé à la même enseigne.

- Est-ce que certains de ces investisseurs internationaux pourraient-être vos concurrents vous qui êtes cloisonnés à l’extérieur des zones les plus intéressantes et encourageantes ? Est-ce qu’il y a des concurrents d’investisseurs marocains qui sont ici dans des zones franches où ils ont énormément d’avantages.

- Il faudrait d’abord se dire une chose, une entreprise qui est saine peut résister à la concurrence internationale. Que l’on soit installés à l’intérieur ou à l’extérieur, nous devons être capables de résister à cette concurrence.

Pour répondre, nous avons des exemples dans le secteur du textile, la confection, des entreprises qui sont à l’intérieur, qui sont à 150m dans la zone Geznaya qui font exactement la même chose et exportent 100% de leur production et qui n’ont pas les mêmes avantages.

Nous trouvons ça un peu injuste. À l’époque de Moulay Hafid Elalamy, une réflexion avait été lancée, celle d’accepter qu’une entreprise ait ces avantages sans être dans une zone d’accélération industrielle. Les entreprises qui sont à l’extérieur, qui exportent 100 ou 85% de leur production peuvent avoir les mêmes avantages. On va pouvoir faire un pas important et encourager réellement l’opérateur économique marocain à investir dans l’industrie.

Je crois qu’il ne faut pas être régionaliste, tout emploi que l’on peut proposer à un marocain est une bonne chose.

- Est-ce que c’est vrai qu’une grande partie des salariés dans l’industrie dans la zone de Tanger ne sont pas de la région ?

- C’est ce que disent les chiffres, c’est vrai. D’abord les investissements mis en place dans la région nécessitent beaucoup de main d’œuvre qui n’est pas disponible à Tanger. De deux, le niveau de formation également exigé n’est peut-être pas disponible, puis, Tanger aussi par son attrait fait en sorte qu’il y a une migration intérieure de personnes qui cherchent un emploi au vu de la disponibilité d’emploi dans la région.

Je crois qu’il ne faut pas être régionaliste, tout emploi que l’on peut proposer à un marocain est une bonne chose.  Cela reste certes une inégalité, si l’on visite les endroits urbains et péri-urbains nous trouverons beaucoup de jeunes qui n’ont pas d’emploi. Il leur faut de la formation, il faudrait les impliquer, les responsabiliser sur leur sort, c’est un travail de famille, de formation et d’éducation, de l’entreprise aussi qui doit aller les chercher.

II ne faut pas jeter la responsabilité que sur une partie, c’est une responsabilité commune.

- Vous connaissez bien l’industrie automobile, depuis longtemps. Est-il réaliste de penser que le Maroc peut construire son industrie automobile avec des capitaux marocains ?

- Tout dépend de ce que l’on entend par industrie automobile. Si vous parlez de pièces et d’équipements automobiles oui bien sûr, pourquoi la Roumanie, l’Inde, le Brésil, le Mexique ou la Chine peuvent le faire et pas le Maroc ? Je n’ai pas une vision du Maroc qui aboutirait à un mépris de la capacité du Marocain à construire, on est capables de le faire.

On a parlé des avantages, on est aussi impliqué par la relation que nous avons avec les constructeurs.  Si la question concerne la construction d’une voiture maroco-marocaine des niches existent et peuvent être développées, être un grand constructeur mondial d’une marque marocaine il me semble que c’est très difficile, vu les capitaux nécessaires, les technologies qui sont en train d’évoluer mais des niches existent, c’est vrai.

- Que diriez-vous à un jeune entrepreneur qui nous regarde et qui veut se lancer, quels conseils lui donneriez-vous ?

- D’abord, a-t-il un vrai projet à mettre en place ? Puis de s’informer, auprès du CRI, acteur fondamental dans l’investissement mais aussi au niveau de la CGEM, des entreprises installées pour aller plus vite et ne pas commettre les mêmes erreurs, d’être bien accompagné, parce qu’être seul et s’armer d’informations ça sera plus difficile, mais pas impossible.

C’est notre rôle d’accompagner ces jeunes, nous avons organisé une rencontre très importante avec le ministre des PME-PMI et nous avons invité énormément d’étudiants en dernière année à l’université et nous avons vu que des informations manquent sur la recherche de financements, sur comment créer une entreprise… On s’est dit qu’il faut aller informer ces jeunes là où ils sont au niveau des universités, les inviter s’ils ont un projet pour les accompagner et les conseiller.

Je pense que c’est partout pareil, aller de façon individuelle porter un projet comporte plus de risques que de se faire accompagner et d’avoir toutes les informations pour le faire.

L’investissement ce n'est pas seulement l’information et l’image, c’est la réalisation de l’investissement.

- Quelles sont vos préoccupations spécifiques à cette région ?

- Je suis très optimiste, je parle de ces voyages et ces rencontres avec les Espagnols, je suis surpris par l’image que le Maroc commence à avoir à l’étranger en très peu de temps. Mais, bien vendre le Maroc est une chose, une deuxième chose c’est d’accompagner ces investissements avec des démarches administratives qui sont toujours longues. Il faudrait que l’on parle du délai depuis le dépôt du dossier au CRI jusqu’à l’accord final par l’AMDIE, que l’on soit plus communicant, que l’on traite l’investisseur marocain ou étranger d’une façon égale mais rapide.

J’ai toujours dit que l’investissement ce n'est pas seulement l’information et l’image, c’est la réalisation de l’investissement. Si nous avons réussi cette première étape fondamentale qui est de vendre le Maroc, il faut qu’au niveau interne, tous les process et les démarches soient réellement simplifiées. Que l’investisseur qui dépose son dossier voit son approbation dans un délai très rapide. Si une pièce au dossier manque que l’on soit transparent et précis de façon rapide.

Qu’on montre cette capacité que l’on a eu à bien promouvoir le Maroc et que l’investisseur une fois sur place sente qu’il ne s’est pas trompé et que l’investissement qu’il a projeté de faire au Maroc va se faire dans les délais et même mieux qu’en Europe, que toutes les administrations vont agir dans le même sens et qu’il y ait moins de conflits entre les administrations pour délivrer.

Je pense que tout le monde est d’accord, Sa Majesté l’a demandé, l’investissement privé doit représenter les deux tiers de l’investissement de l’État du Maroc en 2030. L’investissement ne peut pas être seulement une promotion. Il doit être pris en considération jusqu’à sa réalisation, son implantation ici.

- Je vais prononcer des mots clés, et vous allez répondre par des phrases. Textile ?

- C’est un secteur aujourd’hui essentiel pour la main d’œuvre, surtout féminine. C’est le premier employeur de femmes au Maroc mais ce n’est pas suffisant aujourd’hui. Le textile sous le modèle actuel concerne beaucoup plus la confection. On importe du tissu, on le coud et on le réexporte. Ce n’est pas suffisant, il faudrait que l’on monte en gamme et que l’on fabrique du tissu en intégrant les problématiques de l’environnement, du textile recyclé etc.

Ce n’est pas le même textile, pas les mêmes accessoires, tout a changé et va changer davantage. Nous devons aussi encourager les jeunes créateurs de mode.

Il y a un modèle aujourd’hui qui est récent, le Portugal. Lorsque je vois ce qu’a fait ce pays en très peu de temps je me dis que le Maroc peut le faire. C’est toute une démarche, nous ne pouvons rester comme des pays qui vendent de la main d’œuvre pour le textile sinon concevoir et avoir un taux d’intégration important.

- Si je vous dis, multinationales ?

- Elles sont essentielles pour le Maroc et pour tout pays. Le Maroc ne peut se développer sans investissement multinational et investissement national. Dire que seul l’investissement multinational ou international va pouvoir faire du Maroc un pays développé je dis que non, il faut que les acteurs nationaux créent leurs propres entreprises et que l’on soit un pays beaucoup plus indépendant. Je trouve qu’un secteur a fait énormément de pas depuis le Covid c’est celui de la santé.

C’est un modèle, on a énormément protégé ce secteur. Inspirons-nous de ce modèle qui a permis à l’industrie pharmaceutique marocaine de se développer très rapidement et de pouvoir s’exporter en Afrique et ailleurs. Il ne faut pas avoir le discours que nous avons eu il y a quelques années, simple, libre échangiste. Créer une industrie locale est essentiel pour que l’on soit un pays indépendant, fort de ses capacités, ses moyens et sa créativité.

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