Mehdi Tazi : “Il faut une réflexion globale sur l’emploi, et la CGEM souhaite y contribuer”
Dans cet entretien avec Mehdi Tazi, vice-président général de la CGEM, Médias24 aborde plusieurs sujets d'actualité. Du moral des patrons aux défis du futur, de la loi de finances au dialogue social en passant par les deux questions essentielles : l'emploi et l'investissement. Entretien.

Mehdi Tazi : “Il faut une réflexion globale sur l’emploi, et la CGEM souhaite y contribuer”
Partager :
-
Pour ajouter l'article à vos favorisS'inscrire gratuitement
identifiez-vousVous possédez déjà un compte ?
Se connecterL'article a été ajouté à vos favoris -
Pour accéder à vos favorisS'inscrire gratuitement
identifiez-vousVous possédez déjà un compte ?
Se connecter
Hayat Gharbaoui
Le 15 juillet 2024 à 14h50
Modifié 15 juillet 2024 à 17h41Dans cet entretien avec Mehdi Tazi, vice-président général de la CGEM, Médias24 aborde plusieurs sujets d'actualité. Du moral des patrons aux défis du futur, de la loi de finances au dialogue social en passant par les deux questions essentielles : l'emploi et l'investissement. Entretien.
Dans cet échange avec Médias24, le vice-président général de la CGEM dresse un tableau plutôt positif du contexte économique actuel où l'entreprise marocaine reste agile et combattante, selon ses termes. Le ciel s'éclaircit donc, après la succession de crises survenues ces quatre dernières années.
Cela signifie-t-il que tout est satisfaisant ? Certainement pas. Les défis persistent et ils sont nombreux. Le principal étant l'emploi, sujet d'importance vitale pour le Royaume. Il faut créer des emplois. La question que tout le monde se pose est de savoir comment ? Mehdi Tazi réplique : "Avant cela, posons-nous la question du type d'emploi que l'on veut créer". Il défend la vision de la CGEM plaidant pour une réflexion globale sur la question de l'emploi. Soit.
Mais qui dit emploi dit investissement. Et dans ce domaine, le secteur privé est appelé à jouer un rôle plus important pour réaliser l'objectif royal d'atteindre, à l'horizon 2026, deux tiers des investissements portés par le privé. Où est le capital marocain et dans quel secteur investit-il ? Le secteur privé manque-t-il de courage pour aller dans les secteurs productifs ? Et, au-delà, quels sont les défis futurs pour l'économie marocaine ? Réponses de Mehdi Tazi.
Tous les secteurs sont unanimes pour dire que les trois prochaines années seront bien meilleures que les trois dernières
Médias24 : Covid, inflation… après tous ces épisodes, comment se porte aujourd’hui l'entreprise marocaine ?
Mehdi Tazi : L’entreprise marocaine se porte bien, elle reste agile, combattante et tournée vers l’avenir, d’autant plus que les indicateurs macroéconomiques s’améliorent.
La consommation est en reprise, alors qu'elle était en berne depuis un certain temps. Au premier trimestre 2024, elle est en progression de 2,7% par rapport à l’année précédente. L’investissement est aussi en croissance pour le 3e trimestre consécutif, avec une progression de 17% au T1 2024 par rapport à l’année précédente. Les prévisions de croissance du PIB sont plutôt bonnes et l'inflation est maîtrisée.
Il ne faut pas oublier que nous sommes passés par quatre années de grandes crises mondiales, et le Maroc a fait preuve d’une forte résilience. Cette résilience a été reconnue à l’échelle internationale et a renforcé la confiance dans notre pays, que ce soit celle de la communauté internationale ou celle des chefs d’entreprise marocains qui sont optimistes quant à l’avenir. Nous avons d’ailleurs récemment questionné nos adhérents à ce sujet : tous les secteurs sont unanimes pour dire que les trois prochaines années seront bien meilleures que les trois dernières.
- Un sujet d’actualité : l’entrée en vigueur de la retenue à la source ce mois de juillet. Il s’agit d’une mesure qui n’était pas au goût des entreprises et autour de laquelle il y a eu beaucoup de débats au moment de son instauration. Comment ça se présente pour les entreprises ?
- Pour le moment, l’impact est principalement administratif puisque les entreprises se sont préparées à la mise en œuvre de la mesure, notamment en demandant à leurs fournisseurs des attestations de régularité fiscale.
Je tiens tout de même à souligner que nous n’avons pas de problème avec l'esprit de la mesure qui vise à réduire l'informel et la fraude. La CGEM y est bien sûr favorable. Le débat portait sur le rôle de l'entreprise dans tout ce dispositif. Mais la question est désormais réglée.
- Ce sujet nous ramène à la loi de finances de façon générale. La CGEM espérait une LF 2024 plus équilibrée. Comment l'entreprise a-t-elle vécu l'application des différentes mesures ?
- Ce que nous pouvons déjà dire, c’est que les mesures de la réforme de la TVA vont dans le bon sens, et c’est le retour que nous avons de nos adhérents. Globalement, nous avons entre autres une baisse du butoir TVA, une baisse de l'IS et nous voyons que les recettes de l'État augmentent. Cela signifie que davantage de personnes entrent dans le formel, et c’est une bonne nouvelle.
Nous nous posons la question de savoir si l'outil de production n'est pas trop taxé
- Les préparatifs pour le PLF 2025 ont démarré. Quels sont les sujets prioritaires que la CGEM défendra cette année ?
- Nous sommes actuellement en plein exercice de préparation de la LF 2025 avec un travail qui se fait en amont pour être le plus inclusif possible. Il est un peu tôt pour donner des mesures précises, néanmoins je peux déjà vous dire que nos priorités pour l’année 2025 s’articulent autour de quatre thèmes. Le premier est relatif à la fiscalité du travail pour dynamiser l’emploi.
Nous nous posons la question de savoir si l'outil de production n'est pas trop taxé. Aujourd’hui, nous avons une fiscalité orientée vers les facteurs de production et les salaires, où 40% du coût d’un salarié est constitué de charges sociales et d’impôts sur le revenu. C’est un frein pour l’emploi formel, et nous sommes convaincus qu’un allègement nous permettrait de dynamiser les recrutements. Nous sommes conscients que ces prélèvements obligatoires sont importants pour les recettes de l'État. Mais cette recette doit-elle provenir nécessairement de la taxation de l'outil de production ? Ou est-ce que nous pouvons, peut-être, la chercher ailleurs, par exemple sur la consommation ? Nous n’avons pas encore de conviction aboutie à ce sujet. Mais la réflexion est lancée. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons commandité une étude sur l'emploi. Il y a aussi le thème de la restructuration des groupes. Dans notre économie, nous avons besoin d’améliorer la neutralité fiscale de ces opérations.
Ce sont des opérations qui ne donnent pas lieu à des flux d’argent et qui permettent en général aux entreprises de mieux s’organiser pour être compétitives. Il y a les taxes locales, en particulier la révision de la taxe professionnelle qui est une revendication que nous avons, depuis de nombreuses années, légitimée par les Assises de la fiscalité et par la loi-cadre. C’est une taxe foncièrement injuste, puisqu’elle taxe l’outil de production et pénalise fortement les entreprises qui louent par rapport à celles qui détiennent leurs locaux.
Ce qui donne lieu à des aberrations économiques. En fonction de son activité, une entreprise peut payer jusqu’à 30% de la valeur du loyer en taxe professionnelle, ce qui est souvent supérieur à sa marge d’exploitation. Tandis que l’entreprise qui opte pour l’achat de son local va payer 30% d’une valeur locative qui correspond à 3% du coût de revient de l’actif, plafonné à 50 millions de dirhams, donc un maximum de 450.000 DH. Pour la même activité, il existe un écart important entre deux opérateurs sans qu'il y ait de logique qui explique cet écart. Nous estimons donc que cette taxe crée des biais et qu'il y a un vrai travail à faire là-dessus.
Le dernier sujet est la fiscalité verte, et plus précisément la taxation carbone. Il s’agit d’une question d’actualité qui pourrait faire partie des mesures pour 2025 et sur laquelle nous serons particulièrement vigilants. En tout cas, nous apporterons notre point de vue et nos recommandations de façon constructive, comme nous l'avons toujours fait.
- Quand vous évoquez la fiscalité du travail, vous faites référence à la réforme de l’IR, un des chantiers de ce PLF 2025 qui a d’ailleurs été engagé lors du dialogue social… Quelle est la philosophie que vous allez défendre ?
- Notre ligne directrice est de garder une compétitivité sur l'emploi. Que nous le voulions ou non, une part de l'emploi que nous avons est liée à la compétitivité salariale de notre pays par rapport à des marchés proches. Est-ce une bonne chose ou pas ? Ce n’est pas le sujet. Il s’agit simplement d’une réalité. Les entreprises étrangères, qui produisent au Maroc et réexportent, sont ici parce que la main-d'œuvre est compétitive. Ces entreprises sont nombreuses, et les emplois concernés se chiffrent en centaines de milliers.
La question qui se pose est la suivante : qu’allons-nous faire si nous ne sommes plus compétitifs par rapport à des marchés concurrents et que nous constatons des pertes d'emplois ? Le risque d'avoir un impact existe, il faut le prendre en considération et l’anticiper.
Nous estimons qu’il faut mener une réflexion globale sur l’emploi que nous voulons dans notre pays et sur sa compétitivité. Quel est notre modèle économique pour l’emploi ? Quels emplois souhaitons-nous promouvoir ? Est-ce que nous voulons attirer des métiers où nous vendons de la minute, ou voulons-nous aller vers plus de valeur ajoutée ? Il n'y a pas de réponse immédiate, mais une réflexion à mener ; et c’est ce que nous prônons.
Le vrai sujet, c’est que le SMIG a augmenté beaucoup plus rapidement que la productivité
- Justement, comment les entreprises ont-elles accueilli la dernière hausse du SMIG ? La troisième successive...
- Les entreprises, et en particulier nos TPME, sont bien conscientes des effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens et agissent donc de manière responsable, notamment en opérant l’augmentation du SMIG. Le plus important pour le pays, c’est de rester compétitif pour préserver l’emploi. C’est dans ce sens que nous avons sensibilisé l’ensemble des parties prenantes de l’accord social et que nous avons eu l’engagement du gouvernement d’étudier les impacts de cette hausse, secteur par secteur, et d’apporter des solutions à ceux dont l’emploi pourrait être négativement impacté par cette hausse (secteurs qui vendent de la minute : textile, offshoring, câblage).
Par ailleurs, cette hausse du SMIG a été convenue dans le cadre d’un accord plus global dont les bénéfices pour les entreprises sont clairs, notamment l’encadrement du droit de grève par une loi, la réforme du Code du travail et la refonte de la formation professionnelle qui sont des réformes que les entreprises attendent depuis des dizaines d’années. D’ailleurs, les différentes augmentations du SMIG des dix dernières années ne sont pas en soi un problème. Le vrai sujet, c’est que le SMIG a augmenté beaucoup plus rapidement que la productivité.
L’accord social signé en avril dernier, puisqu’il faut le voir comme un tout, sera extrêmement bénéfique au secteur privé, et en particulier aux TPME qui ont besoin de plus de flexibilité et d’accéder à des ressources formées. Quand nous considérons l’accord dans sa globalité, il est clair qu’il est positif pour notre économie et pour les entreprises.
- Certains économistes soutiennent la théorie selon laquelle quand on augmente le SMIG, il y a un effet mécanique qui va sans le sens de la hausse du chômage : les entreprises recrutent moins alors que les inactifs rejoignent le marché du travail attirés par un salaire minimum revalorisé. Qu'est-ce que vous en pensez ? Un commentaire ?
- Je ne partage pas entièrement cette théorie, car ce n'est pas le seul angle de lecture. Je pense qu'il y a d'autres variables à prendre en considération, comme la consommation. Nous pouvons considérer qu’une hausse du SMIG est une hausse du pouvoir d'achat, une hausse de la consommation, et donc une stimulation de la demande.
Au risque de se répéter, c'est une question de modèle économique. Tout pays qui se développe aspire à plus d’innovation, de valeur ajoutée et à une amélioration des revenus. Nous sommes dans cette transition positive pour notre économie. C'est une transition qui se fera dans la durée, et il faut que la transformation de notre économie soit accompagnée par les bonnes stratégies en matière d’emploi. Cela doit se faire de manière concomitante en étant conscient des impacts et des enjeux.
- Vous avez évoqué une étude dédiée à l’emploi lancée par la CGEM. Que pouvez-vous nous en dire ?
- Nous aurons les résultats de cette étude dans deux mois. Ils vont avant tout nous permettre d'y voir plus clair, de mettre de la transparence sur les chiffres, de comprendre de manière plus fine les dynamiques sectorielles, régionales, etc.
Nous comprenons déjà de manière plus précise un certain nombre de tendances. Nous lisons un peu partout que l’emploi a reculé dans notre pays, et les chiffres publics montrent effectivement que l’emploi est resté à peu près stable en dix ans, entre 2013 et 2023 (environ 10,5 millions de personnes), avec un recul en 2023. En revanche, ce qui est moins souligné est que l’emploi à la CNSS des entreprises du formel a fortement augmenté sur la même période (~+40%). Cet emploi formel est tiré par trois régions : Casablanca Settat, Rabat-Salé-Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima, en particulier sur les emplois de qualité rémunérés à plus de 6.000 DH mensuels (les trois régions comptent pour plus de 80% de ces emplois). Cela nous interroge sur des mesures différenciées que nous pourrions mettre en place par région comme d’autres pays l’ont fait, à l’instar de ce qui a été fait au niveau de la Charte de l’investissement.
Nous avons aussi un sujet sur les femmes, puisque quand nous analysons leur niveau d’étude, le taux de chômage et le taux d’activité, nous nous rendons compte qu’il y a un décrochage qui s’opère graduellement et qui fait qu'au bout d’un certain temps, les femmes ne cherchent plus à travailler. Nous n’avons pas l’ambition de mener une étude à 360°, mais plutôt d’avoir du contenu pour construire, de manière documentée, nos convictions et d’apporter les recommandations du secteur privé pour améliorer l’emploi.
Nous avons un Momentum Maroc qui est très bon, car nous avons montré notre résilience, notre stabilité politique et sociale, le poids de nos institutions
- On a parlé d'emploi qui ne peut être créé sans investissement. Le secteur privé est fortement attendu sur cette question, avec l’objectif royal de passer à deux tiers d'investissement privé à l'horizon 2026. Que faites-vous concrètement pour concrétiser cet objectif ?
- Aujourd’hui, nous représentons effectivement environ 35% de l’investissement. En 2023, le secteur privé a investi à hauteur de 210 milliards de dirhams, l’État 230 MMDH (sur un prévisionnel de 255 MMDH) et les EEP 160 MMDH. Néanmoins, et quand on nous compare avec d’autres pays, on oublie un élément important : dans les autres pays, plusieurs secteurs sont privatisés, avec une part des EEP moindre.
Nous souhaitons bien sûr augmenter notre part dans l’investissement et nous œuvrons fortement dans ce sens. Nous avons été impliqués dans la mise en place de la Charte de l’investissement qui est un bel outil et qui va nous permettre d’améliorer considérablement notre niveau d’investissement. Nous avons aussi participé à sa promotion à travers une tournée régionale.
D’ailleurs, depuis son opérationnalisation en mars 2023, cinq commissions nationales d’investissement ont été tenues avec 108 projets approuvés pour un montant total d’investissement de 160 MMDH, ce qui montre déjà une très bonne tendance. Nous travaillons aussi beaucoup pour attirer les investissements étrangers privés dans notre pays (en 2024 : Belgique, France, Turquie, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Mauritanie, Rwanda, Autriche, Espagne, Allemagne...).
Nous avons un Momentum Maroc qui est très bon, car nous avons montré notre résilience, notre stabilité politique et sociale, le poids de nos institutions, la solidité de notre système bancaire et la qualité de notre capital humain. Nous avons d’autres atouts que nous ne mettons pas suffisamment en avant, comme la stabilité de notre monnaie qui constitue un réel avantage par rapport à d’autres pays concurrents.
- Pourquoi ce n’est pas visible ? Pourquoi a-t-on encore l'image d’un capital marocain pas assez audacieux ? Où est ce capital privé ? Il investit dans quel secteur ? Est-ce que la question aujourd'hui n’est pas de dire qu’il faut du capital marocain dans des secteurs beaucoup plus productifs, beaucoup plus industriels et beaucoup plus structurants pour l'économie ?
- Je ne pense pas qu'il faille tirer des conclusions en disant que le secteur privé marocain n'est pas courageux ou n'investit pas dans des secteurs productifs. Un investisseur, quel que soit sa nationalité, réagit de la même manière à un ensemble de données de son environnement. Pourquoi les entrepreneurs marocains se sont-ils tournés depuis un certain temps vers l’immobilier au lieu de l’industrie ? C’est peut-être le résultat d’une analyse qui fait qu’au moment où cette décision est prise, l’investissement a plus de sens dans l’immobilier.
Il faut s’interroger sur les raisons qui font qu’un secteur est plus attrayant qu’un autre et en tirer les conséquences. Tout le monde sait, par exemple, qu'à un moment donné de l’histoire économique du pays, des usines ont fermé à cause de grèves intempestives. Sans amélioration de ce contexte, l’entrepreneur se tourne vers un autre secteur, avec des conditions plus favorables.
Pour résumer, l'investisseur privé reste attentif au climat des affaires, aux conditions d'investissement et aux opportunités de rentabilité. Mais il faut souligner que le capital marocain est aujourd’hui présent dans tous les secteurs, notamment l’industrie. Dans les dernières commissions nationales de l’investissement, les projets portés par des capitaux marocains représentent plus de 70% des projets approuvés.
- Autre sujet important : le dialogue social et les attentes du patronat. Le gouvernement a pris un nouvel engagement – un de plus –, celui de faire aboutir la réforme de la loi sur a grève en juillet 2024. Nous y sommes. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ?
- Nous sommes convaincus du bien-fondé de cette réforme puisque, rappelons-le, notre demande est simplement que le droit de grève soit encadré par une loi, comme cela est fait dans tous les pays du monde. Ce que nous demandons nous semble simple et tout à fait audible. C’est une loi qui permet entre autres de protéger les grévistes, les non-grévistes et les employeurs, de donner une chance à la négociation et à la médiation pour éviter la grève, d'avoir un délai de préavis raisonnable et de protéger les secteurs vitaux de notre économie avec l’idée d'un service minimum.
Il y a un engagement pour que cette loi soit programmée au Parlement avant fin juillet. Lors de la session parlementaire constitutionnelle sur le dialogue social qui a eu lieu la semaine dernière, le chef du gouvernement a confirmé le respect de cet engagement. Nous sommes confiants quant à l'aboutissement de cette réforme qui permettra d’accompagner la mise en place de la Charte de l’investissement, d’améliorer le climat des affaires et de créer davantage d’emplois durables et de qualité.
Nous cherchons à atteindre nos objectifs dans la concertation et la convergence, avec le style qui est le nôtre
- Vous êtes à votre deuxième mandat à la CGEM. Le premier a été marqué par la gestion des crises. Le deuxième se déroule dans un contexte moins tendu, peut-être plus favorable. Globalement, estimez-vous avoir joué le rôle de contre-pouvoir pour défendre les intérêts des opérateurs économiques ?
- Oui, en priorisant toujours le partenariat et la co-construction en faveur de l’intérêt des entreprises et de leur croissance. Pendant le Covid-19, la CGEM a été partie prenante du CVE et a défendu les intérêts de l’entreprise marocaine et des secteurs affectés par les répercussions de la pandémie. Même chose face aux impacts de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, nous avons poussé pour que les secteurs impactés obtiennent un soutien, notamment les opérateurs du transport.
Nous portons également tous les ans la voix de l’entreprise, particulièrement de la TPME, dans l’exercice de préparation des lois de finances.
En avril dernier, nous avons constitué un contrepoids dans le cadre des négociations liées au dialogue social, et sommes arrivés à un accord social équilibré, avec un calendrier d'engagements pris par l'État et les syndicats.
Défendre l’intérêt de l’entreprise marocaine est l’ADN même de la CGEM et de tout patronat. Maintenant, nous cherchons à atteindre nos objectifs dans la concertation et la convergence, avec le style qui est le nôtre. Nous agissons avec responsabilité et conviction, et non dans le conflit ou la recherche de populisme.
- Vous préférez agir en coulisses ?
- Nous estimons que certaines discussions se font en public, d'autres en privé. Nous avons un style que certains peuvent juger soft sur la forme, mais qui pour autant donne des résultats, car nous ne cédons pas sur le fond.
Le président de la CGEM, Chakib Alj, et moi-même avons des convictions fortes, et je pense que nous les avons largement défendues. Et le travail n'est pas fini. Il y a encore beaucoup de chantiers à mener ou à poursuivre comme la réforme de la formation professionnelle, du Code du travail, la promulgation de la loi sur la grève, la simplification des procédures administratives, les mécanismes de financement de l’économie, le renforcement de notre écosystème tech, la compétitivité des facteurs de production (énergie, foncier), etc.
Nous sommes fiers de nos accomplissements et de notre bilan, fruits de l’intelligence collective et de la contribution active de toutes les composantes de la CGEM, que ce soit les CGEM régions, les fédérations, les commissions ou notre groupe à la Chambre des conseillers, que je remercie pour leur implication.
- Vous avez dit que la CGEM porte la voix de l’entreprise, particulièrement de la TPME. Beaucoup ne partagent pas cet avis. Le haut-commissaire au Plan a déclaré sur nos colonnes que "les PME sont sous-représentées (…), dans le sens où il y a beaucoup de choses qui se font au détriment de cette PME, qui représente pourtant l'essentiel de notre tissu économique". Que fait la CGEM concrètement pour la PME ?
- Soyons factuels. Qu'est-ce qui vous fait dire que la PME ou la TPME est sous-représentée au sein de la CGEM, alors que sur les 90.000 membres directs ou indirects de la CGEM, 95% sont des PME ou TPME ? Aujourd'hui, la CGEM est à l'image du tissu économique marocain, et représente bien le secteur privé dans son intégralité et sur l’ensemble des régions du Maroc. Nous couvrons aussi l'ensemble des secteurs avec nos 37 fédérations statutaires.
Les grands groupes, qui sont aussi membres de la CGEM, n’ont pas vraiment besoin que nous les représentions ; ils ont en général des accès directs pour faire valoir leurs positions. Je peux vous assurer que 90% de notre action est donc tournée vers les TPME. Prenons des exemples :
- la loi sur les délais de paiement : elle profite aux TPME dont le délai de paiement était de 240 jours en moyenne vs 80 jours pour les GE.
- la réforme de l’IS : le taux de 20% concerne les entreprises avec un résultat inférieur à 100 millions de DH, et donc les TPME.
- le financement : les premières actions du Fonds Mohammed VI auxquelles nous avons fortement contribué concernent les PME (dette subordonnée, fonds de PE et fonds start-up).
- le dialogue social : les chantiers, et notamment la formation professionnelle, vont bénéficier aux TPME en premier lieu.
Par ailleurs, nous accompagnons les TPME sur plusieurs sujets que nous jugeons prioritaires et sur lesquels nous avons un impact certain, comme la décarbonation des unités de production pour répondre aux exigences des donneurs d’ordre à l’export, les programmes de digitalisation des TPME, la sensibilisation à la responsabilité sociétale et environnementale, ...
Tout cela est factuel. Si ceux qui pensent le contraire ont des faits pour étayer leur position, nous serions ravis de les entendre et d’en débattre. C'est un mythe qui arrange certains, mais les faits disent l’inverse. Je peux vous le dire en étant moi-même à la tête d’une PME.
- Vous venez de citer la loi sur les des délais de paiement. Avez-vous commencé à ressentir ses effets ? Un premier bilan peut-être ?
- Avant d’évoquer l’impact de la nouvelle loi, je tiens à rappeler que l’ancienne version de la loi sur les délais de paiement présentait plusieurs incohérences et rendait son application pénalisante pour les entreprises. En effet, elles étaient assujetties à une double peine.
D’une part, l’entreprise, dans ce schéma, risquait de perdre son client et le risque s’accentuait si des intérêts de retard lui étaient facturés. D’autre part, si l'entreprise ne facturait pas, elle perdait un revenu, et elle pouvait être redressée en cas de contrôle, car celle-ci n’avait pas facturé les intérêts de retard.
D’ailleurs, les retards sur les paiements étaient ressentis par tous les opérateurs, et le montant de l’encours du crédit inter-entreprises a avoisiné les 400 milliards pendant plusieurs années.
Grâce aux efforts des membres de l’Observatoire dont la CGEM fait partie, nous sommes arrivés en juin 2023 à un texte de loi plus judicieux et, surtout, intégrant des principes importants tels que la progressivité de l’entrée en vigueur par catégorie d’entreprises, le principe de l’auto-déclaration et le remplacement des indemnités de retard par une sanction pécuniaire, avec l’orientation des fonds récoltés vers un fonds de soutien aux TPME.
Avant que la loi ne soit appliquée, les derniers chiffres d’encours inter-entreprises s’établissaient à 337 milliards de DH, et il a été estimé à environ 25% la part des crédits hors délais actuels (chiffres 2022). Donc l’impact qu’aura la loi concerne une enveloppe d’environ 60 milliards de DH.
Nous avons tenu une réunion de l’Observatoire pour faire un premier bilan et nous avons aussi envoyé un questionnaire à nos adhérents, et on a abouti à trois conclusions claires. Les TPME ont beaucoup plus de facilité à recouvrer leurs créances. Il y a une forte amélioration des délais de paiement. Il y a une large conformité à l’égard du mécanisme, ce qui est totalement l’esprit dans lequel cela a été construit. L’objectif étant de réduire les délais de paiement et non pas de récolter des amendes.
- Le mot de la fin. Quels sont les défis futurs que devra relever le secteur privé marocain ?
- Au-delà des défis dont nous avons déjà parlé, il me semble qu’il y a cinq axes importants sur lesquels le secteur privé doit encore plus se positionner dans les prochaines années. Je pense que s’il y a un sujet sur lequel toute notre attention collective est portée en ce moment, c’est bien le sujet de l’emploi. Nous avons vraiment besoin de libérer le potentiel de notre pays pour créer plus d’emplois de qualité.
Le capital humain sera aussi le sujet central des prochaines années. Nous avons parlé de la formation professionnelle mais, plus généralement, il y a un sujet d’adéquation entre l’offre et la demande en termes de ressources. Si nous ajoutons à cela les impacts à venir de l’intelligence artificielle – certaines études estiment que 40% des emplois mondiaux seront menacés par l’IA –, nous voyons bien que ce sera un des grands défis à venir.
Nous devons redoubler d’efforts pour accélérer la digitalisation de nos entreprises et notre positionnement sur les start-up. Aujourd’hui, nous ne captons pas assez d’investissement dans ce domaine (seulement 0,5% des investissements start-up en Afrique). Nous y travaillons à la CGEM et aurons des actions et propositions à ce sujet dans les prochains mois.
Nous avons besoin d’accélérer la décarbonation de notre économie, notamment pour s’aligner sur la demande de nos clients à l’international et ne pas perdre de notre attractivité. C’est un sujet sur lequel nous sommes très actifs à la CGEM depuis de nombreuses années, et sur lequel nous continuons d’accompagner les entreprises.
Enfin, il y a la CAN 2025 et la Coupe du monde 2030. Tous les secteurs doivent se préparer à accueillir ces deux évènements majeurs (BTP, commerce, industrie, services, etc.). Au-delà des retombées directes, c’est un sujet national pour le futur. Nous accueillerons le monde sur une courte période, et ces évènements ont généralement des impacts à long terme.
Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!